L. Bartolini: Une résistance à la Réforme

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Titel
Une résistance à la Réforme dans le pays de Neuchâtel. Le Landeron et sa région (1530-1562).


Autor(en)
Bartolini, Lionel
Erschienen
Neuchâtel 2006: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
185 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Rémy Scheurer

L’étude de Lionel Bartolini contraste fortement avec les publications antérieures sur le sujet, toujours ponctuelles et le plus souvent orientées. Elle s’appuie sur des sources documentaires variées et géographiquement étendues aux archives de toutes les parties en cause dans le débat religieux, politique et judiciaire dont Le Landeron surtout mais encore Cressier et Lignières furent l’enjeu entre 1530 et 1562. Elle est servie aussi par la connaissance profonde qu’a son auteur des forces en présence, de leur exercice et de leurs rapports. Et ce n’est pas rien car la question religieuse ne se pose pas entièrement dans les mêmes termes selon que l’on est dans l’un ou l’autre de ces trois lieux, et des questions très locales peuvent avoir des incidences jusqu’à la Diète des cantons suisses. Formellement, l’ouvrage se présente de manière traditionnelle comme un récit articulé en chapitres suivant l’ordre chronologique des événements, mais son contenu n’a rien d’une narration abondante en détails et peu soucieuse de compréhension.

Ce qui apparaît dans ce livre sur l’histoire de la Réformation et de la résistance à la Réformation dans cette région, ce sont bien sûr les faiblesses politiques et humaines du pouvoir comtal à cette époque et les limites de son autorité, qu’elles résultent de droits partagés avec la bourgeoisie de Neuchâtel ou de traités de combourgeoisie qui mettent le comté dans une certaine dépendance, surtout à l’égard de Berne, et la ville du Landeron sous une forte influence de Soleure, ville tutélaire en matière religieuse mais non exempte de volonté d’expansion territoriale. Ce qui apparaît surtout, c’est la relative retenue qu’impose aux cantons en l’occurrence antagonistes de Berne et de Soleure la Landfriede consécutive à la seconde bataille de Kappel, paix qui fixa le droit en matière d’innovation religieuse dans la Confédération et dans les territoires qui en dépendaient réellement ou prétendument. Le recours aux armes, même localement, n’étant plus une solution mais l’issue redoutée par les deux parties d’une lutte excessive d’influence, la confrontation eut pour lieu les tribunaux et parfois pour issue l’arbitrage. Cela dit, la confrontation fut âpre et toujours prête à resurgir : ce pouvait être à l’encontre de réformés, provocateurs et désireux d’avoir une tribune pour la propagation de leur doctrine, un procès pour injure, comme l’affaire Jacottet (pp. 57-59) ; ce pouvait être aussi à l’occasion de la désignation d’un curé car du fait de la Réformation Berne se trouvait substituée à l’abbé de Saint-Jean pour la collation de la cure du Landeron alors que, pour la même raison, celle de la cure de Cressier avait passé de l’abbé de Fontaine-André à l’autorité comtale de Neuchâtel. Ce fut l’occasion de nombreuses chicanes et même d’une tentative d’imposer un pasteur : Pierre Caroli, au Landeron (p. 71), Thomas Barbarin à Cressier (pp. 78-84). Les tenants de l’un ou l’autre culte sont très attentifs à tout ce qui peut leur permettre de marquer des points devant un tribunal, si bien que l’élection du for importe beaucoup, aussi bien pour les individus que pour les communautés, les juges étant ici réformés, là catholiques. Mais ce sont aussi les droits du comte, ceux des communautés, des combourgeois ou d’autres acteurs, jusqu’à de simples personnes privées, qui sont en cause. Lionel Bartolini évolue avec aisance dans ce système complexe qui permettait aux parties, bien conseillées, une véritable virtuosité dans le juridisme. Par contre, il manque à son livre quelques pages sur la juridiction ecclésiastique en pays catholique. Le fait qu’apparemment personne n’ait été condamné pour hérésie ni même déféré devant un tribunal sous cette inculpation demande explication, et d’autant plus que cela est vraisemblablement l’une des causes de l’apparition précoce au Landeron et dans sa région de formes de libertés de conscience. S’il n’y avait pas de quoi tenter d’extirper l’hérésie, on comprend mieux que les réformés aient utilisé les tribunaux comme moyen de diffusion de leurs convictions religieuses et pour la revendication de droits; on s’explique bien aussi pourquoi les sentences se limitèrent à la détermination des droits et des devoirs des communautés et des individus en matière religieuse (1).

Tout en analysant remarquablement les causes, les modalités et les conséquences des procès, Lionel Bartolini est attentif aux mots et aux expressions qui permettent de reconnaître l’affirmation et l’évolution de la liberté de conscience (2). La conclusion majeure de cette excellente étude est que la notion de liberté de conscience apparaît de manière précoce dans la région du Landeron, du fait sans doute de l’absence de moyens forts de répression, pensons-nous, mais aussi parce que le pouvoir comtal est affaibli, voire menacé dans son existence, et qu’aucune des parties représentées par Berne et Soleure ne peut s’imposer et risquer de rompre la frêle paix religieuse établie entre les Confédérés. Mais il ne s’agit pas encore «d’une application universaliste de la liberté de conscience ». C’est une définition déduite de la pratique des tribunaux, qui va de la reconnaissance du for intérieur à la liberté de culte, qui permet le voisinage méfiant mais pacifique et fixe des règles à la cohabitation. Ici, M. Bartolini établit des faits, s’appuie sur des cas et montre des comportements d’intérêt vraiment général pour l’histoire de la liberté de conscience et d’une tolérance qui finira, bien plus tard, par signifier autre chose que l’obligation d’accepter ce que l’on ne peut empêcher. Pour reprendre les termes du professeur Michel Cassan : «Au-delà de l’écheveau événementiel soigneusement démêlé, l’étude aborde des questions aussi fondamentales dans la Suisse et l’Europe du XVIe siècle que la liberté de conscience individuelle, la liberté de culte et la paix de religion ». Par ce livre, nous pouvons donc reconnaître d’ores et déjà en Lionel Bartolini, archiviste de l’Etat, un historien de grand talent.

Qu’il nous soit enfin permis de rappeler aux lecteurs de notre revue que les meilleures études sont comme des lampes sous le boisseau aussi longtemps qu’elles n’ont pas d’éditeur. C’est dire ici l’importance des jeunes éditions Alphil, particulièrement attentives aux travaux d’histoire concernant les régions jurassiennes.

1) L. BARTOLINI, «Dieu et ses saints devant la justice neuchâteloise », Claudia, op. cit., (et autres), Kriminalisieren - Entkriminalisieren - normalisieren, Zurich, 2006, pp. 123-129.

2) L’auteur a présenté en détail le dossier lexicographique dans son étude « Liberté de conscience dans le vocabulaire français : une genèse romande (1530-1560)? », La Suisse occidentale et l’Empire,
Lausanne, 2004, pp. 106-121.

Zitierweise:
Rémy Scheurer: Compte rendu de: Lionel Bartolini, Une résistance à la Réforme dans le pays de Neuchâtel. Le Landeron et sa région (1530-1562), Neuchâtel, Editions Alphil, 2006, 185 p. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, année 146-3, 2009, p. 239-241.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique neuchâteloise, année 146-3, 2009, p. 239-241.

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